Pierre Guariche, Créateur de Lumière 1950-1959
Light(ing) designer, 1950-1959
10/09/2012 - 27/10/2012
La lumière et son pendant domestiqué, l’éclairage, ont toujours été à la base du travail des architectes et des décorateurs et, à ce titre, un sujet régulièrement développé par les revues spécialisées. Mais, suite à la publication de nom- breuses recherches scientifiques sur la lumière à la fin des années quarante et au début des années cinquante dans les revues de décoration, l’éclairage de la maison apparaît comme l’un des plus importants “problèmes” (comme l’on disait à l’époque) dont doit se préoccuper le grand public lecteur de ces revues d’aménagement.
C’est dans ce contexte qu’un tout jeune créateur, Pierre Guariche, très au fait de ces données esthétiques et techniques rencontre Pierre Disderot, un ingénieur qui se spécialise dans l’édition de luminaires ultra modernes et qui deviendra le plus grand éditeur de luminaires français. Ils produiront ensemble en ce tout début des années cinquante ce qui demeure encore aujourd’hui l’une des plus belles gamme de luminaires, par son esthétique avant-gardiste certes mais aussi par son élégance raffinée et son fonctionnalisme radical.
La galerie Pascal Cuisinier présentait en 2012, après de nombreuses années de collection, plus d’une cinquantaine de pièces soit l’ensemble de la production de Pierre Guariche des simples appliques qui ont inspiré tout le luminaire français des années 50-60 jusqu’aux plus incroyables, à contrepoids ou en voile de tôle micro- perforée, du lampadaire à balancier de 1950, copié cent fois, jusqu’à celui, unique au monde, conçu comme un mobile d’Alexander Calder sur le principe du double balancier. Les lampes à poser aux formes inédites à l’époque seront aussi toutes présentées ; de bureau ou de salon, elles ont l’évidence et la simplicité d’un objet naturel, le raffinement et l’intelligence d’un artefact.
Cette exposition entièrement composée de luminaires d’époque, pour la majorité extrêmement rares. Car ils ont été produits en petite série et certains à seulement quelques dizaines d’exemplaires ; soixante ans plus tard une grande partie a disparue du fait de leur fragilité et du manque de connaissance sur les débuts du design français.
Il s’agit d’un ensemble exceptionnel car cette exposition quasi exhaustive a nécessité sept années de recherches. Mettant donc en scène tous ses luminaires édités, pour la plupart créés avant 1954. Après 1959, Pierre Guariche ne concevra plus de luminaires, appelé par des projets d’aménagement de plus grande ampleur.
Ce travail de recherche mené sur le modèle universitaire à partir de croisement de documentations anciennes et d’archives familiales a permis d’identifier de manière indubitable l’ensemble des appareils d’éclairage conçus par Guariche.
Les luminaires de Pierre Guariche,
La beauté de la fonction, l’intelligence de la forme.
Le cocktail parfait :
Pierre Guariche possédait le parcours idéal pour concevoir ces luminaires parmi les plus importants du 20ème siècle. Fils de spécialistes du métal et de la serrure- rie électrique, il commence des études d’ingénierie en électricité à Bréguet puis poursuit par la prestigieuse formation des « Arts Décoratifs ». Il a su allier la modernité de ses maîtres et de son propre tempérament et la grande tradition du dessin et des proportions de la formation classique : La matière et le bel ouvrage ; c’est avec lui que son ami Pierre Disderot, lui aussi sorti de L’école à Bréguet, approfondira le travail du métal, la technicité et le fonctionnalismed’une génération nourrie aux meilleurs des modernes ; Le Corbusier et Richard Neutra ou, plus près d’eux, René Gabriel et Marcel Gascoin (les premiers à créer du meuble moderne de série), enfin, la capacité d’invention d’un des meilleurs décorateurs de sa génération adaptée aux besoins de la maison moderne.
Sculpteur de lumière ou la lumière « domestiquée » :
Visiblement très au fait des recherches sur l’éclairage, il conçoit très tôt, dès 1950-51 une gamme complète d’appareils qui comblent tous les besoins identifiés pour chaque espace de la maison et respectent les prescriptions scientifiques. Il conçoit d’abord la qualité de lumière qu’il souhaite produire pour répondre à une fonction spécifique ; la lumière d’ambiance ou de lecture dans la chambre, l’éclairage général du salon et, en même temps, du fauteuil de lecture ou de couture, l’éclairage de circulation dans la pièce principale et celui, spécifique de l’espace repas – centre de table et convives… Il décide ensuite, en fonction des prescriptions techniques, de la puissance et du type d’éclairage dont il a besoin ; puissant et ponctuel sur l’espace de travail mais sans que la source ne soit accessible à l’œil, réfléchi et doux pour un espace de détente ou de circulation ou bien diffusé par réflexion mais puissant pour l’ensemble d’une pièce et en même temps concentrée sur une table etc.Il invente alors l’appareil d’éclairage qui répond exactement à ce besoin en lui donnant la forme parfaite et évidente qui dit simplement ce à quoi elle est destinée.
Ces objets qui paraissent simples sont cependant révolutionnaires ; ils déploient les codes d’une esthétique avant-gardiste : le métal embouti, micro perforé, laqué en couleur, la mobilité, les rotules articulées, des formes inédites à l’époque, des porte-à-faux spectaculaires, des matériaux innovants comme le plexiglas ou des ampoules “tubes”… Ces luminaires n’ont aucun décor ajouté, aucune marque stylistique gratuite, aucun détail non justifié techniquement ou fonctionnellement.
Ils sont de plus d’un grand confort d’utilisation. Ainsi, aucune source lumi-neuse n’est apparente. L’ampoule n’est jamais accessible à l’œil ce qui les distingue, par exemple, de ceux du sculpteur Serges Mouille qui s’intéresse plutôt à l’aspect formel de l’objet dans l’espace et où l’ampoule est presque toujours visible.
Pierre Guariche conçoit ainsi des « familles » de luminaires dans lesquelles on retrouve sur le même principe l’applique, la suspension et le lampadaire. C’est le cas pour les modèles G25 et G30 dit « cerf-volant », les G1 à deux réflecteurs inversés en diabolo ou l’ensemble de la gamme des cônes perforés dont le plus connu est le lampadaire G23 dit à « double balancier » mais qui comprend aussi plusieurs appliques et lampes agrafées les G14, G5 ou G1.
Pierre Disderot l’éditeur, orfèvre du luminaire :
Tous les luminaires de Pierre Guariche sont réalisés pour Pierre Disderot, excellent créateur de modèles lui-même, qui deviendra le plus grand édi- teur de luminaire français : ceux d’Alain Richard, de Pierre Paulin, d’Etienne Fermigier, de René Jean Caillette ou de Joseph André Motte.
Passionné, Pierre Disderot redessinait minutieusement tous les détails, les articulations ou les visseries à l’échelle 1. Guariche le concepteur féru de maté- riau et Disderot le réalisateur au dessin très sûr étaient tout deux d’une exigence et d’une radicalité étonnante. Hugues Disderot, le fils de Pierre se rappelle les entendre critiquer sévèrement tout ce qu’ils ne trouvaient pas à leur goût ou suffisamment moderne. L’éditeur passait la majorité de son temps dans l’atelier à essayer des prototypes ou à faire de la commande spéciale. Il pensait que son travail deviendrait industriel par la grande diffusion alors qu’il fonctionnait comme un artisan. L’absence de réseaux de distribution à cette époque mais qui se développeront au cours des années 60 et 70 empêchait l’accès du très grand public à ces pièces. Disderot prenait en effet 80% de ses commandes de l’année au salon des arts ménagers et essentiellement auprès de prescripteurs architectes ou décorateurs. La qualité des finitions laquées, en bronze, en laiton, en aluminium embouti, la minutie avec laquelle tout était conçu, essayé, proto- typé et surtout les petites quantités produites rendaient les prix de vente très élevés par rapport au budget d’un ménage de l’après-guerre pour qui l’achat d’un fauteuil de repos était déjà un investissement important.
Les luminaires de Pierre Guariche, premières pièces modernes produites par Disderot sont restés longtemps hors d’accès pour la majorité de la population d’une part en raison de leur tarif élevé mais surtout par leur conception innovante, presque expérimentale et leur esthétique radicale. Et pourtant le designer reçut immédiatement un soutien indéfectible de la presse qui a toujours défendu ses créations et auprès de laquelle elles ont eu un succès important et durable. Ces pièces étaient chères et esthétiquement nouvelles, elles ont donc été peu diffusées, fragiles du fait de leur ampleur, des porte-à-faux, de leur mobilité et de leurs articulations, elles sont aujourd’hui devenues rares.
Dans le catalogue Disderot une nomenclature (non systématique) détermine le nom des modèles ; une lettre précède le numéro des modèles. Tous ceux de Pierre Guariche sont ainsi précédés de la lettre G y compris ceux qu’il a signés collectivement sous le nom d’A.R.P. (Atelier de Recherches Plastiques).