Jacques Biny, créateur/éditeur

27/06/2015 - 12/09/2015

À l’occasion de l’Année internationale de la lumière initiée par l’UNESCO et pour faire suite à une exposition à Design Miami/Basel la Galerie Pascal Cuisinier consacrait en 2015 un solo show au designer Jacques Biny, présentant une collection exceptionnelle de ses luminaires, fruit de huit années de recherche.


Jacques Biny est l’un des plus importants luminaristes français des années 1950 à 1970. À la différence de nombreux autres designers, il est également éditeur et a collaboré avec certains des meilleurs créateurs de son époque tels Michel Buffet, Jean Boris Lacroix et Gustave Gauthier. Ensemble ils se lancent dans l’aventure du luminaire.

Diplômé de l’École Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, Jacques Biny s’installe à Valence, sa ville natale, pour exercer son métier de décorateur. Confronté au manque d’appareils d’éclairage sur ses chantiers, il décide de dessiner ses premiers modèles de luminaires, qu’il propose à ses clients. En 1950, suite à cette expérience, Jacques Biny revient à Paris et fonde en 1953 son propre atelier de fabrication d’éclairage moderne, Luminalite.

Moderne et précurseur, il crée une gamme de luminaires sophistiquée pour la maison et utilise de nouveaux matériaux comme la tôle perforée ou le plexiglas. Sous son crayon, les formes évoluent et se radicalisent, laissant peu de place au décoratif. Dans les années 60, il accède à des commandes d’éclairagiste pour des projets d’envergure comme le grand cinéma de Valence Le Palace, la préfecture de Valence ou encore les chantiers de Saint Nazaire.


À l’occasion de Design Miami/Basel, Pascal Cuisinier a choisi de mettre en scène littéralement une sélection des plus belles pièces de Jacques Biny. Le stand, conçu comme un plateau de théâtre, reprend le principe des coulisses noires latérales et un jeu d’éclairage inspiré du travail de Robert Wilson. Un fond blanc luminescent, sur le modèle d’une oeuvre de James Turrell, complète la scénographie. Dans cette mise en scène figurent également un ensemble de réception composé d’un bureau Pierre Guariche, de la gamme Président, de fauteuils et chauffeuses de l’ARP.

Cette exposition, présentée par la galerie Pascal Cuisinier du 16 au 21 juin 2015 à Bâle, se poursuivait à Paris, dans l’espace de la galerie rue de Seine à Saint-Germain-des-Prés, du 27 juin au 12 septembre 2015.


LE LUMINAIRE DE L’APRES GUERRE

Le luminaire français des années 1950 est sans doute l’un des plusbeaux, des plus novateurs et des plus rares au monde.
Il est pourtant le plus méconnu.



La fin des années 1940 marque une avancée scientifique remarquable dans la recherche sur la lumière. Relais auprès du grand public, les journalistes vulgarisent ces évolutions en les adaptant à l’éclairage de la maison. Une génération de créateurs tels que Pierre Disderot, Pierre Guariche, Jacques Biny, Robert Mathieu ou encore Jean Boris Lacroix s’y intéresse de près. Diplômés pour certains de l’école Bréguet spécialisée dans l’électricité, ils se passionnent pour l’éclairage qu’ils mettent en scène grâce à des appareils destinés à l’univers domestique. D’autres encore iront jusqu’à créer leur propres ateliers de production pour réaliser leur propre conception modernedu luminaire.

Le marché à cette époque est en majeure partie occupé par un luminaire en bronze, ou de style néo quarante, fait de dorures et d’abat-jours inadapté à la modernité du début des années 1950. Alors que le souvenir de la guerre s’estompe et qu’un avenir meilleur se profile, les ménages rêvent de confort. Les créateurs anticipent alors ces désirs en imaginant l’appartement moderne, fonctionnel et urbain mais aussi le mobilier, le siège et le luminaire pour l’équiper. Chaque avancée fonctionnelle et technologique se pose comme une mini révolution traduite par des formes nouvelles.


Vers une spécialisation du luminaire

Si presque tout créateur de l’époque se doit d’aborder à un moment ou à un autre de sa carrière la question de l’éclairage ou du luminaire, certains comme Pierre Guariche s’en sont fait une spécialité, pour ne pas dire une passion. Dès sa sortie de l’Ecole des Arts Décoratifs en 1949, il définit les principes de la lumière domestique que l’on utilise encore aujourd’hui et invente des appareils d’éclairage moderne. Ambassadrice de ce génie duluminaire, la galerie Pascal Cuisinier lui consacre en 2012 une rétrospective et expose la quasi totalité de ses modèles.

Grâce à sa rencontre avec Pierre Disderot, également diplômé de l’école d’ingénieur en électricité, Pierre Guariche trouve les moyens d’expérimenter et de réaliser ses modèles. Celui qui créa les établissements Disderot, producteurs d’une grande partie du luminaire moderne en France durant quatre décennies, était tellement impliqué qu’il ouvrit un atelier offrant aux créateurs la possibilité de développer leurs créations.

Si les ateliers Disderot ont permis à de nombreux designers de développer leurs créations, certaines figures du luminaires ont choisi des voies plus indépendantes comme Robert Mathieu, qui sera exposé dans deux ans à lagalerie Pascal Cuisinier, mais surtout Jacques Biny.

Luminalite, naissance d’une marque et de collaborations

Jacques Biny, également diplômé de l’Ecole des Arts Déco, s’est trouvé personnellement desservi par le peu d’éditeur de luminaires en France au début des années 1950, tant pour ses projets d’aménagements intérieurs que dans ses projets d’invention d’appareils modernes.

Il commence par sous-traiter ses réalisations à «Kobis et Lorence», mais le style de la maison et ses outils de production se sont rapidement posés comme des contraintes : il est probable qu’une maison spécialisée dans le bronze doré avait plus de difficultés à produire du chrome. De même, « Kobis et Lorence » n’avait pas les plieuses pour travailler la tôle métallique puisque la maison se remarquait pour ses moulages… Biny décide alors de se consacrer au luminaire en créant sa marque, Luminalite, et en fondantses propres ateliers de production rue de la Folie Régnault à Paris.

Jacques Biny fait appel à certains des meilleurs créateurs de son époque.Jean Boris Lacroix, une star du modernisme dans les années trente, produit par exemple pour Luminalite une gamme exceptionnelle dans les années 1950. Citons également Michel Buffet, très jeune créateur dont les pièces sont aujourd’hui mythiques et rarissimes, mais aussi toute une génération de décorateurs comme Louis Baillon ou Gustave Gauthier.Mais si Biny entreprend de nombreuses collaborations, il reste cependant le concepteur de la majorité de ses modèles.



Efficacité et simplicité, la signature Biny

Sa démarche, proche de la recherche, expérimente toutes les variations possibles d’une même forme ou d’un même principe d’éclairage. Il ambitionne de créer un éclairage pour la chambre qui permette de lire sans éblouir son voisin ou sa voisine de lit. Cela le conduit à décliner des dizaines d’appliques aux formes raffinées et dont l’éclairage dirige une partie de la lumière vers le lecteur potentiel. La fraction secondaire de l’éclairage vient alors lécher le mur vers le haut. Il travaillera la qualité de cette lumière de manière obsessionnelle à grand renfort de lamelles diffusantes, de plexiglas,de lentilles focalisantes …

Ces objets, dont l’esthétisme est aujourd’hui reconnu, se démarquent à l’époque pour leur efficacité et leur simplicité pas de fioriture décorative, mais de la tôle soigneusement pliée et laquée en noir et blanc, parfois en couleur. Le style est sobre, élégant, jamais ostentatoire, maîtrisé et raffiné, léger et fonctionnel. Biny décline des variantes pour tous les besoins domestique, aussi bien en applique murale qu’en lampadaire, en plafonnier ou en lampe à poser.

C’est cette histoire qu’entend raconter l’exposition que consacre la galerie Pascal Cuisinier à cet immense créateur français, comme elle l’a déjà fait pour Guariche et comme elle le fera pour Robert Mathieu. Si cette exposition se concentre sur la première partie de son travail, des années 1950 au début des années 1960, la carrière de Biny ne s’arrête pas là : Son expertise dans l’éclairage domestique l’amène à postuler à des projets plus importants dans le domaine de la collectivité. Il développe ainsi dans les années 1960 et 1970 une gamme très technique, notamment pour les hôpitaux, dont le développement s’arrête brusquement avec son décès précoce en 1976.


La volonté de répondre à une fonction
Le travail de Jacques Biny est remarquable pour sa volonté de répondre à

une fonction. Chaque luminaire est pensé pour sa position dans un endroit spécifique de la maison de façon à renvoyer un éclairage approprié.

L’intensité, la focalisation sont pensées au profit d’une utilisation pertinente de la lumière, qu’elle soit réfléchie, indirecte, ou le véhicule d’une ambiance générale renvoyée dans toutes les directions. Les appareils d’éclairage qu’il conçoit sont en tôle de métal pliée, courbée, découpée, soudée, assemblée puis laquée pour être protégée.

Biny joue avec les angles et les courbes, les lamelles, les stries, les perforations, les fentes, les voiles de réflexion. Parfois, il ajoute un tube de laiton, une visserie en bronze, une platine d’attache contrastée, un globe en verre, une lame de plexiglas.

Il exploite les contrastes : les pleins et les vides, les noirs et les blancs, les clairs et les obscurs, les parties apparentes et cachées, les ombres propres et les ombres portées…C’est un travail sculptural de la lumière par la parfaite maitrise de son sujet et de sa matière.

Les formes sont toujours simplifiées mais jamais pauvres. Les détails de finition ne sont jamais des décorations superflues. Si on peut trouver une unité dans l’ensemble de son travail ou si la petite vis conique en bronze est souvent une signature, ce n’est jamais un style au sens formaliste du terme.

Chez lui tout est justifié, utile, pensé et conçu spécifiquement. Sa recherche repose sur une conception combinant la forme à la fonction. Biny décline toutes les solutions possibles dans un souci d’un résultat optimal. Les micro variations de certains modèles sont les garants de cette recherche, de cette obsession sans doute, de cette passion certainement.